Porneia delights, , e20100633 —
« Toute théorie est sèche, et l'arbre précieux de la vie est
fleuri » nous enseigne Méphistophélès dans le Faust de
Goethe[1].
On peut essayer, par tous les moyens, de prévoir toutes situations et de les
sceller dans un texte ; mais chacun sait que la tâche est
impossible. Effectivement, et ainsi que nous le rappelle Gicquel,
« une constitution est vivante : elle reproduit le cycle
biologique. Elle naît, se développe et meurt »[2]
; plus loin d'ajouter « vivre, n'est-ce pas s'adapter
? »[3].
On comprend mieux, dès lors, la présence de l'article
89 dans la Constitution française du 4 octobre 1958 prévoyant des dispositions
spécifiques en vue de la révision potentielle de cette norme que l'on veut
suprême. Mais avant de nous plonger dans une réflexion autour de la révision
constitutionnelle, il peut être opportun de revenir sur les définitions
qu'impliquent notre sujet de dissertation.
La constitution a, de par sa nature, une place
particulière dans la hiérarchie de l'ordre juridique interne. Dans cette
pyramide des normes, développée par Hans Kelsen, on accorde à la constitution
la place de norme suprême. Ainsi que le défini Kelsen, il y a plusieurs
couches successives de normes dans la pyramide et la constitution en ai
l'élément le plus haut — si on met de côté le concept de norme
fondamentale, la grundnorm, de Kelsen. Cette hiérarchie implique que,
pour qu'une norme soit valide, il faut qu'elle soit conforme à la norme ou aux
normes qui lui sont supérieures, au sens où il ne doit pas y avoir de
contradictions entre elles.
Gicquel considère donc que la constitution est la
« loi des lois » en ce sens où c'est le texte qui va
venir définir de quelles manières vont être adoptées les autres lois. La
constitution, par son caractère de loi supérieure, ne peut pas être modifiée
comme les autres lois. Et généralement, dans le cadre d'une constitution
rigide comme en France, c'est un texte auquel on va appliquer une procédure
particulière.
Le pouvoir constituant originaire, c'est-à-dire celui
qui a rédigé la constitution à l'origine, prévoyant, a mis en place un
dispositif législatif permettant de venir modifier, de venir réviser la
constitution en fonction des évolutions que la société pourrait demander. Nous
avons donc, ainsi que le dit Olivier Duhamel, des organes de l'État qui ont
été constitutionnellement habilité à réviser la constitution ; c'est ce que
l'on nomme le pouvoir constituant dérivé, prévu donc par le pouvoir
constituant. Le pouvoir de réviser la constitution est ainsi une faculté
octroyée par le pouvoir constituant ; c'est un pouvoir que le pouvoir
constituant dérivé détient de la Constitution elle-même, si l'on s'en tient à
une définition organique de la constitution.
Gicquel nous dit alors que ce pouvoir est institué et
autolimité. Il est institué car il découle du pouvoir constituant originaire
qui a prévu l'existence du pouvoir constituant dérivé ; c'est la constitution
qui déclare elle-même la possibilité de réviser la constitution — ainsi
qu'en dispose par exemple l'article 89 de la Constitution française du 4
octobre 1958. En effet, il apparaît essentiel de le prévoir, nous dit Gicquel,
car la Constitution est — comme déjà dit ci-dessus
— vivante et doit s'adapter, comme tout ce qui est vivant. De
plus il est autolimité car « le pouvoir constituant originaire peut
imposer des contraintes
matérielles au pouvoir constituant
dérivé »[4]
— qui vient donc limité son champ d'action.
Cependant, bien que nous entrevoyons déjà l'intérêt de pouvoir venir réviser la constitution, cela pose pourtant une question importante à nos yeux. Est-il possible de réviser la constitution, c'est-à-dire de pouvoir créer de nouvelles dispositions constitutionnelles, de les modifier ou de les abroger, tout en préservant l'esprit, l'essence suprême de la constitution en tant que norme supérieure telle que prévue par le pouvoir constituant ?
Pour répondre à notre questionnement, nous allons
établir deux grands points, chacun étant subdivisé en deux branches.
Dans un grand I nous aborderons les principes et les
enjeux du pouvoir constituant dérivé. Nous y verrons tout d'abord dans un
grand A la distinction essentielle entre une constitution dite souple et une
constitution dite rigide et les implications au niveau de la révision
constitutionnelle puis dans un grand B, après nous être focalisé sur la
constitution dite rigide, cette faculté particulière de pouvoir de révision en
prenant exemple le cas français.
Ensuite, dans un grand II nous nous pencherons sur la
nature des limites du pouvoir de révision, avec dans un premier point, grand
A, l'encadrement de la procédure de révision puis dans un second point, grand
B, les limites du droit de revoir la constitution.
I. Les principes et les enjeux
A. Une constitution souple ou une constitution rigide ?
Quand on parle de constitution souple on parle généralement d'États pour lesquels il n'y a pas de constitution au sens formel, c'est-à-dire que les règles qui encadrent le fonctionnement des pouvoirs publics n'ont pas dans tous les États un caractère supérieur. L'exemple le plus frappant auquel on peut penser est le Royaume-Uni où on a recours à des lois ordinaires, où ces lois n'ont pas un caractère supérieur et n'ont donc pas, de fait, de procédure spécifique de révision ; elles peuvent donc être modifiées suivant les mêmes règles et formes que la règle ordinaire. Nous pouvons donc dès à présent mettre de côté les constitutions dites souples pour nous pencher plutôt sur ce qu'on lui oppose généralement, à savoir les constitutions dites rigides.
La constitution rigide, quant à elle, est une constitution qui peut être modifiée au travers d'une procédure différente de la procédure législative ordinaire. On retrouve ici très clairement la définition formelle de la constitution dont Gicquel nous indique qu'elle répond à une « procédure supérieure ». C'est le schéma que l'on retrouve en France par exemple. De ce fait, la constitution, n'étant pas une loi quelconque, ne peut être modifiée que selon une procédure particulière. L'intérêt est bien sûr d'en préserver l'autorité et de lui garantir une certaine stabilité. Dans ce schéma on ne souhaite donc pas que les institutions, mise en place par la constitution, puissent modifier facilement le contenu de la constitution, c'est-à-dire son caractère matériel.
Une constitution rigide a donc certains avantages, comme nous venons de le voir. Cependant, elle présente aussi un inconvénient majeur. En effet, la constitution souple, ainsi que nous le comprenons, car elle n'a pas de procédure particulière, peut s'adapter très rapidement aux impératifs sociaux ou économiques que les temps pourraient exiger. Seulement ce n'est pas le cas pour une constitution rigide. Il est alors possible d'avoir un certain temps de latence, plus ou moins important, dans les capacités d'évolution d'une société étant régies par une constitution rigide ; ce qui peut devenir évidemment rapidement problématique quand la société doit affronter une crise majeure qui demanderait des réponses concrètes et sans délais.
B. La faculté de réviser la constitution : l'exemple français
Il existe de nombreux États ayant une constitution dite rigide, c'est-à-dire une constitution au sens formel qui est érigée au plus haut de la hiérarchie des normes et qui a valeur de loi suprême. Parmi ces États on pourrait citer l'Allemagne par exemple. Mais il nous apparaît plus judicieux de nous référer à la France qui a vu très récemment sa constitution modifiée dans plus d'une quarantaine de dispositions le 23 juillet 2008. En effet on peut dès lors s'interroger sur la possibilité d'effectuer une révision d'une telle envergure sans en entacher, ou en dénaturer les valeurs les plus fondamentales.
C'est un questionnement soulevé notamment par Olivier
Beaud qui remplace les notions de pouvoir constituant originel et pouvoir
constituant dérivé en faisant une distinction entre le pouvoir constituant et
le pouvoir constitué. Le pouvoir constitué serait pour lui le pouvoir de
réviser la constitution et qui serait organisé et soumis au pouvoir
constituant ; il n'aurait donc pas les qualité du pouvoir constituant et
pourrait donc uniquement avoir un simple pouvoir d'ajuster le contenu de la
constitution. De son idée découle alors le fait qu'il est impossible pour le
pouvoir constitué de venir changer « l'identité et la continuité de
la constitution » et ainsi de la préserver au mieux.
De cette manière on comprend qu'il ne serait possible
que de venir corriger légèrement certaines dispositions pour les adapter. Mais
on peut s'interroger alors sur la capacité de pouvoir modifier la constitution
de façon tout à fait adaptée à des situations nouvelles non envisagées par le
pouvoir constituant. C'est-à-dire d'une certaine manière d'exclure la
possibilité pour les générations à venir de venir réformer véritablement la
constitution afin de l'adapter à ses besoins. On se réfère ici bien sûr à Guy
Carcassonne qui a dit que « les acquis de la
Ve République méritent de ne pas être remis en cause
mais cela ne signifie pas que chacun de ces éléments doive être gravé dans
l'airain. Le temps qui passe, les situations qui changent, l'expérience qui
enseigne sont autant de causes qui peuvent justifier çà et là des retouches,
voire, franchement, des réformes ». Mais on se réfère aussi à
l'article 28 de la Constitution de 1793 qui disposait qu'un
« peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer
sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations
futures ».
L'idée de Beaud, finalement, obligerait ces
générations futures à devoir changer de constitution afin que d'en avoir une
nouvelle qui s'accorde à leurs exigences au lieu de simplement pouvoir venir
en modifier les contenus de celle qu'il ont déjà dans une certaine
profondeur. Il appartient alors à chacun de s'interroger : qu'est-ce qui
garanti le plus la stabilité de la constitution ? Forcer les citoyens à
changer radicalement de constitution pour qu'elle leur corresponde ou bien
leur permettre de venir modifier, même en profondeur, ladite constitution
quitte à risquer de la dénaturer ?
En l'espèce, dans sa décision n° 92-312 DC du 2 décembre 1992 le Conseil constitutionnel a infirmé la vision de Beaud en déclarant que « sous réserve (...) des limitations (...) le pouvoir constituant est souverain »[5] ; considérant ainsi que dans tous les cas, même dans le cas d'une révision, nous avions un pouvoir constituant. Nous allons donc voir, dans une seconde partie, comment ce pouvoir constituant dérivé en France est encadré et à quelles limites il est fixé.
II. La nature des limites du pouvoir de révision
A. L'encadrement de la procédure de révision
Ainsi que nous l'avons exposé en introduction, la
constitution prévoit généralement, si elle répond à la définition formelle,
ces procédures particulières qui vont avoir pouvoir de réviser la
constitution. Pour prendre un exemple spécifique, c'est ce que prévoit
l'article 89 de la Constitution française du 4 octobre 1958, la constitution
de notre Ve République.
Nous retrouvons dans cet article des règles très
strictes quant à, d'une part, l'initiative de la révision mais aussi, d'autre
part, quant à l'examen et l'approbation du projet ou proposition de révision.
Ainsi que le premier alinéa en dispose, l'initiative
revient « concurremment au Président de la République sur
proposition du Premier ministre et aux membres du
Parlement ». C'est-à-dire qu'ici l'impulsion de la révision de la
constitution appartient à la fois au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif
— on parlera d'ailleurs de projet quand l'impulsion vient du pouvoir
exécutif et de proposition quand elle émane du pouvoir législatif. Ce partage
est important car c'est la garantie d'avoir un système démocratique. Ainsi par
exemple le pouvoir exécutif va pouvoir, dans le cadre de la politique qu'il
souhaite mettre en place, chercher à adapter la constitution en fonction de
ses projets et cela en accord avec les représentants populaires membres du
Parlement.
En ce qui concerne l'adoption, l'article 89 dans son
alinéa 2 impose que le projet ou la proposition de révision doit être examinée
après certains délais prévues par la constitution. Cela afin que chacun puisse
avoir le temps de s'informer et de réfléchir quant à la proposition ou au
projet qui est fait. Surtout, pour être adopté, le projet ou la proposition
doit être voté « par les deux assemblées en termes
identiques ». Notons de plus le souci démocratique du présent
alinéa qui prévoit aussi que l'adoption est définitive si elle a été approuvée
par référendum.
Remarquons en sus que le Président de la République,
s'il le décide, peut ne pas présenter le projet ou la proposition à référendum
pourvu qu'il le ou la soumette au Parlement convoqué en Congrès. Nous avons
donc ici malgré tout une garantie d'un contrôle démocratique du projet ou de
la proposition, les membres du Parlement étant élus directement par les
citoyens.
Nous comprenons donc que nous avons bien une procédure particulière et tout à fait encadrée concernant la révision de la constitution, avec de surcroît, de nombreuses garanties d'un contrôle démocratique sur cette possible révision. Nous avons donc ici un premier pas nous garantissant une certaine préservation de l'intégrité de la constitution en ce sens où la modification d'un ou plusieurs de ses éléments doit être motivée et respecter la volonté des citoyens. Cependant, s'il est possible de modifier la constitution dans ses grandes largeurs, des limites sont essentielles afin d'en garantir la stabilité du système ainsi que son autorité.
B. Les limites du droit de revoir la constitution
Il y a deux types de limites qui s'imposent au pouvoir de réviser la constitution.
Nous avons dans un premier temps les limites
circonstancielles, c'est-à-dire des moments durant lesquels il est impossible
de modifier la constitution. Dans le cas français c'est prévu à l'alinéa 4 de
la Constitution du 4 octobre 1958 où il est dit que « aucune
procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté
atteinte à l'intégrité du territoire ». Autrement dit, il n'est pas
possible de modifier la constitution quand la France est envahie ou occupée
lors de conflits armés. On comprend évidemment que cela permet d'éviter des
modifications qui n'auraient peut-être pas été envisagée en tant
normal. Cependant on peut s'interroger alors sur la capacité de réponse de la
société à un évènement aussi majeur. En effet, c'est justement le type
d'évènement qui demande des actions extraordinaires, actions qui ne sont dès
lors plus permises au niveau constitutionnel. Ainsi que nous le notions déjà
plus haut, nous serions dans l'incapacité d'adapter notre constitution pour
réagir rapidement à une situation exceptionnelle qui exige des réponses
immédiates et appropriées.
Il y avait donc, en quelque sorte, deux solutions
possibles : permettre de réviser la constitution dans ces circonstances
exceptionnelles qui peuvent amener finalement, dans le pire cas, à une
destruction de la constitution telle que prévue par le pouvoir constituant
originel ou bien, d'un autre côté, la préserver, la sceller, et cela quoiqu'il
en coûte, tout le temps que la situation ne soit pas revenue à la normale et
même si cela ne permet pas de réagir correctement à ces circonstances
exceptionnelles. Il nous apparaît encore impossible d'apporter une critique
pertinente au choix qui a été fait tant nous avons l'impression que la
situation est cornélienne.
L'autre limite que l'on peut retrouver dans notre
constitution est une limite matérielle. En effet, ainsi que nous l'avons
décrit plus haut, le pouvoir constituant dérivé peut modifier soit un simple
article ou alors même un grand nombre de dispositions. On comprend dès lors
qu'il serait assez simple de dénaturer la constitution, de l'éloigner de
l'esprit voulu par le pouvoir constituant originel.
On retrouve donc, dans notre constitution, une
limitation importante au dernier alinéa de la Constitution du 4 octobre 1958
qui dispose que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut
faire l'objet d'une révision ». Cependant, on peut s'imaginer
qu'il est possible de venir réviser cette disposition et remettre en cause
cette forme républicaine, sauf qu'elle est exclue de la possibilité de
révision.
On peut cependant envisager un mécanisme à
« double détente » qui consisterait à réviser d'abord la
disposition qui exclue la révision pour ensuite faire effectivement la
révision de la disposition qui pose des limites. Il serait donc techniquement
possible de remettre en cause un de ces principes essentiels de la
constitution et donc de venir modifier en profondeur l'intégrité de cette
norme supérieure.
Certains pourront arguer qu'il faut une solution plus
radicale afin de protéger cette disposition de façon absolue. Cependant, selon
nous, cela serait probablement dangereux. En effet, même s'il apparaît évident
que ce serait une bonne façon de ne pas revenir à une forme moins
évoluée de gouvernement, cela empêcherai de la même manière toute
évolution vers un système meilleur que le système républicain dans
lequel nous sommes. Même si ce système, que l'on qualifie ici de
« meilleur », reste à déterminer, voir même à inventer,
il nous apparaît important de laisser un espace, même très restreint, qui
permettra de faire évoluer notre société de façon constitutionnelle —
plus généralement par le droit. C'est-à-dire en somme d'une manière autrement
plus civilisée que le recours à la force armée.
Notes de bas de page.
- ↑ Dans sa traduction par Gérard de Nerval, édition de 1877 chez Garnier, disponible sur https://fr.wikisource.org/wiki/Faust_(tr._Nerval)/Édition_Garnier_1877/Texte_entier, consulté le 13 octobre 2012.
- ↑ Gicquel J. et Gicquel J.-É., Droit constitutionnel et institutions politiques, 24e éd., 2010, p. 187.
- ↑ ibid., p. 192.
- ↑ ibid., p. 193.
- ↑ C.C., décision n° 92-312 du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne (Maastrich II), 19e considérant, Rec., 1992, p. 80.