Porneia delights

— Le Ravin des ténèbres est un roman de science-fiction par Robert A. Heinlein. Il fût diffusé dans un premier temps sous forme de série dans la magazine américain Galaxy au cours de l'année 1970. Il sera finalement publié sous le titre I Will Fear No Evil par G. P. Putnam's Sons sous forme de livre au cours de cette même année. L'édition française ne tardera pas et sortira en 1974 chez Albin Michel, traduit par J.-C. Dumoulin et Georges H. Gallet, sous le titre Le Ravin des ténèbres (ISBN 2-226-00042-9).

Synopsis

Jean Sébastien Bach Smith est un vieillard immensément riche de plus de quatre-vingt-dix ans très amoindri physiquement, dont le "corps tiens avec du scotch et des ficelles". Il a cependant toujours toute sa tête et, aidé par son avocat et ami Jacob 'Jake' Salomon, il dirige toujours d'une poigne de fer le Conseil des Entreprises Smith Ltd qu'il a créé voilà tant d'années. Cependant, reclu dans sa propriété dont il ne sort plus, entouré par ses conseillers, son personnel de maison, ses médecins, sa secrétaire particulière et son avocat, la vie est pour lui devenu bien morne ; les intrigues politiciennes et familliales se jouant dans son dos pour le contrôle de l'entreprise et de sa fortune ne l'amusant que moyennement.

Maudissant sa carcasse qui ne suit plus, Smith va alors élaborer un plan pour retrouver une seconde jeunesse : débusquer un corps jeune et y faire transplanter son cerveau !

Avis et remarque

La psaume 24 duquel a été tiré le titre de l'ouvrage donne le ton :

Le Seigneur est mon berger,
je ne manque de rien...
Passerais-je un ravin de ténèbres
je ne crains aucun mal.

Cependant, le titre reste très mystérieux et n'indique en rien le contenu de l'histoire à mon goût. Pour ainsi dire, je ne m'attendais pas vraiment à cela en ouvrant le livre. Malgré ce fait, nous sommes bien entre les mains d'Heinlein, il ne fait aucun doute. On y retrouve très vite des personnages de caractère avec leurs franc-parler et cette atmosphère bien particulière.

Je dois dire que j'ai été assez surpris par ce bouquin. Heinlein nous révèle une facette de sa personnalité que je n'avais pas soupçonné jusqu'alors. Nous sommes en 1970, il a 63 ans et se plaît à nous montrer un côté lubrique et vicelard, tant chez la jeune et belle secrétaire Eunice Branca que chez ce roublard de Smith. Pour avoir lu pas mal de cet auteur, c'est vraiment déroutant parfois ; ou alors c'est moi qui suit trop prude ? Peut-être pas. J'avoue que je n'ai pas toujours compris quel dessein autant de détails et de redondances pouvaient servir le propos. J'ai parfois eu l'impression de me retrouver devant un de ces films hollywoodiens où les acteurs doivent passer au lit parce que cela pourrait attirer le chalan, et moi d'attendre (le plus patiemment possible) que ça se termine histoire que l'on puisse avancer dans le scénario... Dans tous les cas, cela ne fait pas mentir les sites où il est décrit comme un ouvrage "erotico-chic"... Il serait pourtant regrettable de ne rester cantonner qu'au côté sexy qui reste, comme vous l'aurez compris, très prégnant tout au long du livre.

Bien au contraire, le Heinlein des grands jours revient très vite au galop et on se laisse tranquillement emmener dans les différentes intrigues politico-juridique et s'amusant à nous faire deviner ce qui va être révélé trois pages plus loin. Je dois ajouter aussi -- sans rien pouvoir en souffler -- qu'il arrive très facilement (enfin on dirait que c'est facile) à faire jouer les différents protagonistes ensemble. On sent une étrange impression mais sans jamais pouvoir dire où ça va nous mener à la fin...

En trame de fond, on sent bien des questionnements qui, nous pouvons le dire, reste tout à fait d'actualité ; à savoir des prises de positions féministes sur la place des femmes dans la société et l'acceptation (ou non) des désirs qu'elles ont et qu'elles doivent exprimer, que les hommes en soient content ou pas. Nous sommes, avec cet ouvrage, dans une société futuriste, assez proche de la nôtre, mais totalement décadente d'un point de vue social et parfaitement libérée en ce qui concerne les moeurs (je pense notamment au "bikini de bureau" et aux talons de vingt centimètres pour aller au travail qui me laisse rêveur...).

En guise de conclusion, je peux dire que je suis quand même mitigé par ce livre, ce n'est pas le meilleur Heinlein selon moi ; quand je suis en train de le lire, je suis plutôt déçu et quand j'y repense à tête reposé, je le suis moins... Cela me fait un peu penser à ce qu'Asimov expliquait de la science-fiction, au sens où c'est un métagenre. De sorte que peut-être Heinlein a cherché à écrire un livre de science-fiction érotique light ou bien un livre érotique light de science-fiction ? Je ne suis absolument pas contre (qui a dit "au contraire" ?) mais là pour le coup, je ne m'y attendais pas et je n'ai pas vraiment accroché. Il a tout de même le mérite de poser des questions franches et directes et de faire parler les femmes comme elles pensent parfois -- et en cela c'est rafraîchissant (ah et puis j'aime toujours les passages où Heinlein nous plonge dans des intrigues juridiques). Par contre je déconseillerai, pour ceux qui n'ont jamais lu d'Heinlein et qui s'intéressent à cet auteur, de commencer par celui-ci.


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Le Ravin des Ténèbres (1970) de Robert A. Heinlein (932 mots) de e20100633 est mis à disposition selon les termes de la licence WTFPL(v2) - Beerware License.

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