Porneia delights

— Ce billet fait suite à l'article Comment débusquer votre stage professionnel où il a été question de la recherche d'un stage de Master 1 en psychologie clinique. J'avais conclu sur le fait que certains psychologues ne prennaient pas de stagiaire pour des raisons qui nous sont, à nous étudiants, finalement obscures, voir inconnues. Je ne reviendrais pas sur les psychologues qui manquent de temps, la question ayant déjà été abordée dans le précédent billet.

Je voudrais plutôt ici m'adresser aux différents psychologues qui ne sont pas contre l'idée de prendre un(e) stagiaire, qui ont un peu de temps mais qui hésitent. À l'origine, je comptais simplement écrire mes pensées concernant quelques arguments que je pourrais confronter en tant qu'étudiant avec d'autres étudiants pour convaincre ces psychologues. Finalement, et grâce au monde magique et merveilleux de l'Internet, je me suis dit « Et pourquoi ne pas directement donner mes arguments aux psychologues ? »

Ainsi Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs les psychologues je vais essayer de vous présenter quelques arguments pour nous prendre en stage, nous pauvres étudiants érant l'âme en peine. Ajoutons d'ores et déjà que je vais me centrer sur ce que l'on appelle les stages d'observations, typiquement le premier stage qu'un étudiant doit faire (oui, si vous hésitez déjà à prendre un stagiaire dans un cadre d'observation et de discussion, qu'en est-il de carrément lui laisser les rênes pour des entretiens ?).

Vous remarquerez au ton je l'espère que ce billet n'est pas à trop prendre au sérieux (quoique ?) et que nous sommes là surtout pour nous amuser.

Discussion entre étudiants

Mais avant tout, étudiants, nous allons essayer autant que possible d'avoir une approche pragmatique et objective de la question qui nous interpelle aujourd'hui. Dans cette optique, le plus logique aurait été d'aller directement demander à des psychologues « que pourquoi donc que vous n'voulez donc pas prendre d'étudiants en stage ? ». Mais deux choses font ici obstacles à ce qui serait, au final, la plus simple et la plus cohérente des méthodes :

  1. Je n'ai pas vraiment le temps de faire le tour des psychologues du coin pour leur poser cette question ;
  2. Je n'aime pas la facilité (oui je suis modeste) ;
  3. Cela serait vraiment trop professionnel et sûrement moins rigolo que de s'amuser à fantasmer sur le sujet.

(Effectivement j'ai dit deux choses et il y en a trois, je me surpasse moi-même, mais revenons à nos moutons, nous débattrons de mes grandes qualités un autre jour si vous le voulez bien).

Avant tout, très chers étudiants et étudiantes, définissons notre objet d'étude : le/la psychologue clinicien(ne) qui, après quelques années d'élaboration de sa propre pratique, se pose un matin devant son miroir, l'oeil pétillant et plein de malice, en se demandant s'il ou elle n'est finalement pas prêt(e) à partager son savoir avec les hordes d'étudiants qui chaque année remplissent nos amphis.

Histoire de bien pouvoir comprendre ce qu'il se passe, il va falloir, l'espace d'un instant, que j'amène ma sensibilité aussi proche que possible de notre objet d'étude et que je prépare ma subjectivité à entrer en contact avec la subjectivité du dit sujet d'étude ; cela afin de nous unir dans une relation d'intersubjectivité, comme le dirait mon professeur d'épistémologie en psychologie clinique (je vous déconseille fortement de remplacer les mots en italique par d'autres, ça pourrait carrément devenir obscène).

Au delà des simples côtés pratiques d'avoir un stagiaire (organisation du temps, définir un cadre pour le stagiaire, etc) je me demande tout simplement si le psychologue n'a pas un peu peur...

« Quoi ? Le Psychologue, ce spécialiste des faits psychiques, cet expert en matière de connaissance empirique ou intuitive des sentiments, des idées, des comportements d'autrui et des siens, de l'ensemble des manières de penser, de sentir, d'agir qui caractérisent une personne, un animal, un groupe, un personnage (non ce n'est pas du tout totalement pompé sur wikipedia) cet être donc, aurait peur d'un pauvre étudiant en première année de Master 1 ? » me direz-vous, avant de rajouter prestement, « Mais tu divagues complètement mon pauvre ami, arrêtes le café et les émissions de Jacques Le Goff, ça a fini par te taper sur le système ! »

Attendez mais pourquoi pas ? D'accord sans aller jusqu'à parler de peur, le mot est peut-être un peu fort, on peut dire que cela doit tout de même être stressant, non ? Nous avons déjà plus ou moins admis (et sans aucun argument) qu'il doit être difficile et qu'il peut être génant pour un psychologue d'être osculter à la loupe au moindre de ces gestes (pour qui ça ne le serai pas ?) — quand bien même ce serait par un pauvre étudiant qui n'y entend finalement pas grand chose. « Me jugera-t-il ? » pourrait se demander le psychologue ; « Ma pratique est-elle si bien ou assez intéressante pour être partagée ? » ; « Finalement, suis-je capable, moi qui me pose encore tant de questions non résolues, de me placer en position de mentor pour un étudiant ? ».

Allons étudiants, admettons tout de même que c'est de l'ordre du possible, n'est-ce pas ? (Comme je suis seul au moment où je rédige ces lignes, je pars du principe que vous êtes d'accord avec moi (Ah ! La toute puissance du bloggeur)).

Psychologues, pourquoi prendre un stagiaire ?

C'est pour cela que, revenant vers vous maintenant, psychologues, que disais-je, nous allons vous présenter quelques arguments qui je pense ne manqueront pas de faire écho en vous.

Alors, oui, nous aurions pu vous présenter les arguments bateaux :

Non je ne vais pas m'étendre de ce côté qui m'évoque une bonne part de flan mais plutôt essayer de vous montrer qu'un stagiaire c'est comme un(e) [insérer ici ce que vous aimez], quand on y a gouté, on ne peut plus s'en passer (et je sais de quoi je parle, je suis moi-même stagiaire (oui je sous-entend ici, qu'une fois qu'on m'a eu comme stagiaire, on ne peut plus se passer de moi. Ah je ne vous avais pas encore dit que j'étais formidable ? (Je cherche aussi un stage. Écrivez-moi, vous ne le regretterez pas))). Avant tout, le grand classique :

De l'intérêt pratique du stagiaire

« Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi. »

Ah, ne prenez pas cet air surpris, ce n'est pas une légende. Le stagiaire peut faire le café et vous le servir (à vous et à vos collègues) comme il se doit, la cuillière de côté, le sucre dans la soucoupe avec l'inévitable petite serviette en papier. Et cela autant de fois que vous le voulez dans la même journée (pourvu que vous lui montriez une fois comment faire). Non seulement il le fera avec dévotion mais en plus il y prendra du plaisir — il le niera probablement par modestie, mais vous pouvez me croire. Je ne précise pas qu'il fera aussi la vaisselle de ces tasses, cuillières et autres soucoupes, cela allant de soi.

Mieux, le stagiaire a une prédisposition pour les photocopieuses. Mais si, je vous assure. Il est généralement fort d'une grande expérience entretenue depuis de longues années en photocopiage de centaines de polycopiés et divers cours magistraux. Il pourra peut-être être dérouté dans un premier temps par un type de machine qu'il ne connaît pas, mais vous pouvez être assurer qu'il est incollable pour toutes les questions de chargement automatique recto-verso, qu'il manie les modules bac tandem grande capacité avec aisance et que les systèmes de module de finition bureau 2 000 feuilles avec agrafeuse automatique 50 feuilles (voir plus selon l'expérience) n'ont aucun secret pour lui. Vous auriez tord de ne pas en profiter.

Il pourra aussi, selon vos envies, effectuer quelques petites besognes pour vous, et cela toujours avec entrain : classement de dossiers, création de tableaux à multiples entrées, importation/intégration et mise en forme des tableaux sus-cités dans un logiciel de traitement de texte, etc. D'ailleurs et à ce propos, je le précise au cas où, le stagiaire moderne a une grande dextérité avec l'outil informatique et se fera une règle d'honneur de vous aider si vous éprouvez quelques difficultés à son contact.

Enfin, n'oubliez pas qu'un stagiaire a souvent des particularités qui lui sont propres et a forcément certaines aptitudes non répertoriées ci-dessus.

Ah, je sens déjà votre conscience morale tirer la sonnette d'alarme. Mais, permettez moi de vous rassurer et déposez votre Surmoi de côté ; laissez plutôt votre Ça s'exprimer un peu.

Pour résumer en une formule : vous en rêvez ? Votre stagiaire le fera. Et je vous assure qu'il cherchera à vous rendre par tous les moyens la joie que vous lui procurez de par votre simple présence. Alors laissez le faire (non, non, le droit de cuissage n'est pas compris dans le package. Tout de même ! Restons concentrés).

Le stagiaire en tant que faire-valoir

« On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain. »

Ah je sens vos yeux qui commence à vous brûler. Mais non, détendez-vous, respirez, tout ira bien.

Soyons honnête. Qui n'a jamais regarder Dr House, Urgences ou encore Grey's Anatomy et s'émerveiller devant ces grappes d'étudiants en admiration devant le chef de service et le suivre comme des jeunes chiots fougueux en quête d'un bon point, d'une carresse intellectuelle gratifiante ? Vous n'êtes certes pas médecin et vous n'aurez probablement pas ces bataillons d'étudiants armés de leur calepin et de leur stylo buvant chacune de vos paroles. Non, nous, étudiants en psychologie clinique, nous vous proposons mieux que cela.

En effet, n'avez-vous jamais remarqué que ces médecins ont toujours l'air blasés par ces étudiants ? C'est étrange. On pourrait simplement se dire que c'est une défense contre le gonflement narcissique que cela doit leur procurer. Mais laissez-moi plutôt vous présenter une autre approche. N'avez-vous jamais remarqué qu'il y a toujours un ou deux (trois maximum) étudiants qui se démarquent de ce groupe ? Alors le médecin les prend sous son aile et les guide vers la vérité de sa discipline, les autres disparaissant dans l'inconnu. Et soudain le médecin n'est plus blasé, au contraire, il prend du coup conscience de l'importance de sa mission. D'ailleurs le Dr House a parfaitement compris cela et ne prend (comme vous le savez peut-être) que trois étudiants pour pouvoir les façonner à son image.

En psychologie clinique, vous n'aurez pas à vous tracasser de dizaine de visage qui n'auront pour vous que peu de sens — oui sauf au moment de choisir votre stagiaire. Au contraire, vous pourrez vous focaliser directement sur un seul et unique (parfois deux) étudiant, votre étudiant, et alors à votre tour le guider vers la lumière. Non, ne vous méprenez pas, l'étudiant ne vous voit pas comme un sujet d'étude qui lui permettra de passer dans la classe supérieure ou même de décrocher son diplôme. Au contraire, il vous voit comme l'idéal qu'il sera peut-être un jour. Ne lui gâcher pas cela, et laissez-vous simplement et naturellement être cet idéal.

De plus, quel plaisir ce doit être de se balader dans les couloirs de l'institution suivi de près par votre étudiant — armé de son éternel calpin et stylo donc. Vous le présenteriez à vos collègues d'une voix protectrice et sous leurs yeux envieux et curieux. Vous expliqueriez brièvement et sans y paraître, aux infirmières (par exemple) venant papilloner autour du nouveau venu, en quoi il est important pour un psychologue de former de jeunes recrues, avant de vous éloigner doucement vers votre tâche (suivi de près par votre étudiant), le regard lointain et fier, laissant derrière vous les murmures enjoués des personnels soignants se perdre dans les couloirs.

Sans compter que ces murs, qui vous paraissent maintenant ternes et englués de problématiques institutionnelles, sont un monde merveilleux pour votre jeune galopin de stagiaire. Narrez lui donc quelques anecdotes concernant votre institution, en sous-entendant une dynamique type secret de famille, et vous deviendrez incontestablement un demi-dieu à ses yeux, si toutefois ce n'était déjà pas le cas.

Vous pourrez, enfin, démontrer à un parterre de collègues triés sur le volet les différents talents de votre stagiaire en matière de préparation de café, d'utilisation de photocopieuses et d'ordinateurs par exemple (cf. le point précédent). Après quelques tours que votre stagiaire fera — je le redis — fièrement et avec brio, vos collègues fondront pour de bon de jalousie et ne se priveront pas d'en faire grand état aux malchanceux qui n'auront pas été sélectionner par vos soins.

Qu'il doit être bon d'être psychologue avec son stagiaire, ne croyez-vous pas ?

« Mais que va penser le stagiaire de tout cela » vous demandez-vous ? Et vous vous posez encore la question... Mais il s'enorgueillira d'être ainsi à la hauteur de vos espoirs, ne voyez-vous pas ? Quelle joie et quelle félicité que d'accompagner cette femme ou cet homme psychologue sur le(la)quel(le) tout le monde se retourne et murmure dans sa barbe des louanges d'admiration.

« Et mes patients ? » Oh, vous devez forcément poser aussi cette question pour la forme. Que croyez-vous que va penser votre patient quand vous lui présenterez cette personne, ce psychologue en devenir ? Cela ne fera simplement que renforcer son idée que vous êtes décidemment un(e) grand(e) psychologue pour pouvoir prendre étudiant à vos côté(e)s. Et quand il remarquera les yeux admiratifs que votre stagiaire vous porte, si des doutes lui restaient, ils seront annihilés pour toujours.

Vous le voyez, un stagiaire ne peut que vous être profitable. Autorisez-vous alors cette joie, que dis-je, ce bonheur immense que d'avoir un ou une stagiaire dévoué(e) auprès de vous. Laissez-vous donc attendrir par nos grands yeux d'étudiants naïfs et innocents qui, s'ils pouvaient s'exprimer en mots, vous diraient d'une voix douce et porteuse d'espoir : « s'il vous plaît, prenez-nous en stage ».

Un stagiaire ça coûte de l'argent ?

Pour finir sur une note plus sérieuse, je vais me permettre de répondre à une question épineuse car c'est généralement un des arguments qu'un étudiant s'entend répondre lorsqu'il cherche un stage. Question certes bien légitime mais utilisée bien trop souvent par les institutions, gardiennes jalouses de quelques idéaux pécuniers, pour faire blocage. J'ai fait quelques recherches quand il a été question de mon premier stage et je vais me permettre de vous donner réponse technique qui, je l'espère, vous apporteront des arguments contre ces dernières. Nemo censetur ignorare legem.

Voici en substance ce que le décret n° 2008-96 du 31 janvier 2008 relatif à la gratification et au suivi des stages en entreprise qui fait autoriter en la matière nous apprend :

Quand la durée de stage excède, comme prévu au second alinéa de l'article 9 de la loi du 31 mars 2006, deux mois consécutifs compte tenu de la convention de stage, le stagiaire doit percevoir une gratification. Le terme est très important car cela n'a pas le caractère d'un salaire comme il l'est défini dans l'article L. 140-2 du code du travail. La gratificication consiste simplement pour l'étudiant en un « remboursement des frais engagés pour effectuer le stage et des avantages offerts, le cas échéant, pour la restauration, l'hébergement et le transport ». Une simple aide en somme pour que le stagiaire vienne jusqu'à son lieu de stage et puisse manger un bout le midi. La gratification n'est donc pas nécessairement un apport financier sur le compte courant ; cela peut très bien être des tickets restaurants, de self ou de bus.

Le montant de la gratification est définie par convention de branche ou par accord professionnel étendu. À défaut, et comme indiqué dans l'article 6-1 titre III du décret n°2006-1093 du 29 août 2006, la gratification due au stagiaire est fixé à 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale défini en application de l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale.

Votre stagiaire doit normalement effectuer entre 200 et 300 heures de stage durant son année (je ne connais pas d'université où les 500 heures requises pour l'obtention du diplôme doivent être effectuées d'un seul coup). Si son emploi du temps le permet, il est parfaitement envisageable d'étaler ce stage sur les deux mois. Si ce n'est pas le cas, les institutions ont souvent des budgets spécifiques qu'ils peuvent débloquer pour payer les quelques dizaines d'euros qui sont dues au stagiaire chaque mois (oui je sais, c'est facile à dire).

En guise de conclusion, je voudrais simplement souhaiter bon courage à tous les étudiants qui sont en recherche de stage. Je souhaite à ceux qui en ont trouvé un (ou plusieurs sait-on jamais) de bien en profiter. Quant aux psychologues qui ont pris des stagiaires, ne nous torturez pas trop s'il vous plaît. Enfin un dernier mot pour les autres psychologues qui eux n'en n'ont pas : les stagiaires c'est bon, mangez-en !

PS : je ne peux évidemment pas relire ce billet, même s'il est à forte tendance humoristique (certes parfois douteuse), sans repenser avec émotions aux merveilleux moments que j'ai passé avec mes maîtres de stage. Ils savent la gratitude que j'ai envers eux, mais qu'ils en soient remerciés ici tout de même.

PS bis : si vous aussi vous voulez qu'un jour un étudiant ouvre un journal sur le grand nain Ternet pour vous jettez des fleurs en post scriptum, prenez un stagiaire !


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