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[Cette page présente un travail de commentaire de texte ayant pour sujet le rôle du Parlement dans le jeu des institutions de la Vème République. Ce travail a été effectué par un étudiant de première année de droit dans le cadre de l'examen terminal du second semestre en droit constitutionnel. Ce n'est donc pas un corrigé type sur lequel on pourrait s'appuyer en toute confiance. À ce titre cette dissertation est hautement critiquable, sujette à erreurs et autres abbérations. Elle n'est reproduite ici qu'à des fins d'archives et d'informations.]

Consigne : Le texte suivant objet du commentaire est un extrait des débats d'une séance publique à l'Assemblée nationale le 12 février 2004. Monsieur Gaëtan Gorce est député socialiste. Monsieur Philippe Vuilque également. Vous commenterez le texte suivant en analysant les propos qui y sont tenus au regard du rôle du Parlement dans le jeu des institutions de la Vème République, en tenant compte de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de ses suites et en réfléchissant notamment à l'influence du contrôle de constitutionnalité sur l'équilibre des pouvoirs sous la Vème République.

Texte :

« M. Gaëtan Gorce : (…) cette vieille maison [l'Assemblée nationale], qui a vécu de grandes heures et qui, en 1958, fut ramené à plus d'ordre et de raison par le parlementarisme rationalisé, est en voie de marginalisation dans nos institutions. Nous courons en effet le risque d'une présidentilisation accélérée : le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel à cinq ans et le fait que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives sont dans la logique de nos institutions, mais font du Président de la République le chef de la majorité.
Notre Parlement risquerait, pour tout dire, une ringardisation si ses responsabilités, ses procédures, ses moyens de fonctionnement n'étaient pas adaptés à cette situation nouvelle. Je ne regrette pas le choix que j'ai fait de voter l'inversion du calendrier et le quiquennat, mais il faut en tirer toutes les conséquences en mettant en place, en quelque sorte, un « présidentialisme rationalisé », limitant les pouvoirs de l'exécutif, et d'abord de celui qui le dirige. Pour paraphraser le général de Gaulle disant « il faut un président qui en soit un », je dirais qu'il faut un Parlement qui en soit un.

M. Philippe Vuilque : Très bien !

M. Gaëtan Gorce : Il convient donc d'aller au-delà de simples adaptations de notre règlement, en agissant au moins dans trois directions.
Tout d'abord, il faut restaurer l'initiative parlementaire. Aujourd'hui en effet, le Parlement vote la loi, mais il ne la fait pas. Il faudrait au moins que le débat s'engage dans cet hémicycle sur le texte débattu et adopté par la commission, que le recours au vote bloqué soit limité et que l'article 49 3 ne puisse être utilisé que pour la loi de finances. Peut-être faudrait-il aller jusqu'à reconsidérer les conditions du contrôle de constitutionnalité et mettre en place un contrôle a posteriori, à l'initiative de nos concitoyens ; cela donnerait plus d'autorité à la loi, qui, une fois votée, n'aurait pas à attendre une éventuelle sanction de la part d'une assemblée de juges, respectable mais prenant position juste après le débat parlementaire.
(…)
Enfin, la censure n'est plus une réalité politique car on imagine mal une majorité parlementaire, élue dans le prolongement de la majorité présidentielle, censurer le gouvernement issu de ses rangs. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas prévoir une motion de défiance ministérielle par laquelle le Parlement demanderait à un ministre qui a mal fait son travail, qui a mal appliqué la loi, de se retirer ?

M. le Président de la commission des lois : Ce serait un autre régime !

M. Gaëtan Gorce : Cela permettrait de combattre cette culture de l'exécutif qui réduit à bien peu de choses le contrôle du Parlement. À défaut, je crains que nous revenions à des institutions semblables à celles du Second Empire, avec une assemblée qui débat et ne vote pas — le Sénat, puisque l'Assemblée nationale a le dernier mot — et une autre qui vote mais ne débat pas — l'Assemblée puisque le Gouvernement a décidé auparavant ce qui doit figurer dans la loi.
C'est pourquoi il faut aller au-delà de simples mesures techniques et faire en sorte que le Parlement retrouve son autorité et ses prérogatives au sein de nos institutions. Il doit être le lieu où l'on entend battre le coeur de la nation. Aujourd'hui, ce coeur bat trop faiblement, il ne suit pas le rythme d'une société qui avance et qui débat. La moindre des choses est donc, pour nous, d'exiger que le Parlement débatte et vote.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). »

Commentaire :

    « La clef de voûte du régime est l'Assemblée nationale ». C'est en ces termes que Pierre Cot définissait la IVème République en 1946. Quelques dix ans plus tard M. Debré, voulant démontrer le renversement du légicentrisme, reprendra la célèbre formule en l'adaptant à la nouvelle réalité : « La clef de voûte du régime est le Président de la République ». En effet, la Constitution de la Vème donnera une place importante au chef de l'État dans un parlementarisme rationalisé en réaction à l'échec des institutions de la IVème. S'appuyant sur le texte de la Constitution mais aussi sur son charisme, De Gaulle obtiendra l'élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962 apportant ainsi la légitimité à ses successeurs face au Parlement. Nous aurons dans le même temps l'apparition du « fait majoritaire ». En effet sans rentrer dans l'événementiel c'est à ce moment que, suite à la dissolution de l'Assemblée nationale par le général, le peuple de France lui enverra une majorité, cela finissant de légitimer la réforme de cette année-là. Nous avions, dès lors, un chef de l'exécutif fort accompagné d'une assemblée dévouée à sa cause. Seulement, trois périodes de cohabitation démontreront que le Président doit parfois revenir à une fonction plus proche du texte de la Constitution quand bien même il garde sa légitimité face aux français. Mais un acte II viendra en 2000 terminer de consacrer la place du chef de l'État. En effet la réforme du quinquennat fera coïncider les mandats présidentiel et législatif en plus de l'inversion du calendrier qui fera que l'élection du président, centrale et plus importante si l'on en croyait Lionel Jospin, se fera avant les législatives. Nous pourrions nous interroger longtemps sur cet « arbitre » de la Vème comme le disait De Gaulle en 1946 devenu « capitaine » de navire ainsi que le disait Nicolas Sarkozy. Et ces questions nous amèneraient à nous demander ce qu'est devenu le Parlement dans notre régime.
    En 2004, 12 février, M. Gorce, député socialiste — dans l'opposition donc — durant le second mandat Chirac, dénonce lors d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale cet exécutif ayant englouti cette « vieille maison », cette possible « ringardisation » de l'institution face à cette « situation nouvelle » que nous avons exposé ci-dessus. Et en effet, l'initiative législative revient en très grande majorité à l'exécutif, celui-ci contrôlant l'ordre du jour et, au cas où le fait majoritaire ne serait pas assez docile, des armes constitutionnelles existent dans les mains de l'exécutif. Le vote bloqué qui permet de faire voter un texte en totalité ou en partie en une seule fois, cela reniant le droit d'amendement, ou encore bien sûr la fameuse procédure de l'article 49 alinéa 3 qui permet de faire passer un texte réputé voté sauf si une motion de censure venait à être adoptée. M. Gorce s'insurge donc et souhaite un « Parlement qui en soit un », faisant écho à De Gaulle, et non simplement un organe « qui vote mais ne débat pas » comme cela avait pu être le cas sous Napoléon III, empereur des Français.

    Mais nous sommes aujourd'hui quatre ans après l'importante réforme constitutionnelle de 2008. Il peut dès lors être intéressant de nous questionner sur son impact qui, nous le savons, a revu la Constitution de 1958 dans de nombreux articles sur le Parlement, mais pas seulement. M. Gorce a-t-il eu son « présidentialisme rationalisé » ? Nicolas Sarkozy, lors des discutions sur cette réforme, l'avait présenté comme un rééquilibrage des pouvoirs. Est-ce que ce fût le cas ? Mais en faveur de qui ? Il est indéniable qu'un changement de cette ampleur a dû avoir une influence. Aussi nous pouvons nous poser cette question : comment la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a-t-elle modifiée l'équilibre des pouvoirs dans le jeu des institutions de la Vème République ?
    Pour répondre nous allons dans un premier temps nous pencher sur ce rééquilibrage mais qui paraît incertain (I) puis nous chercherons un véritable contre-pouvoir (II).

I. Un rééquilibrage incertain

    Dans un premier point nous verrons en quoi l'exécutif s'est tempéré (A) puis si le Parlement a su se saisir des évolutions de la réforme (B).

A. Un exécutif tempéré

    « Le président n'a d'autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir ». Si l'on en croit les mots de M. Debré en 1958, la lettre de la Constitution de la Vème République oblige le Président à partager ses compétences avec d'autres instances. Seulement la pratique et les évolutions de 1962 et 2000 (pour cette dernière appliquée dès 2002) nous ont montré tout autre chose. M. Gorce note que c'est dans la « logique de nos institutions ». Soit, il fallait donner un vrai pouvoir à notre arbitre. Mais il appelle à une limitation « des pouvoirs de l'exécutif, et d'abord de celui qui le dirige ». Depuis la réforme de 2008, le Président nomme toujours son gouvernement, celui-ci disposant toujours de l'administration, le Président détient toujours son fait majoritaire et a toujours, dans la pratique via son gouvernement, l'initiative des lois à hauteur de 70 %. Cependant ses armes ont été quelque peu réduites. M. Gorce a été exaucé. Le vote bloqué a été limité et ne permet pas de faire obstacle à la discussion de tous les articles et des amendements qui s'y rapportent. De plus la procédure du 49 aliéna 3 ne peut effectivement être utilisée que sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale — le nerf de la guerre — ou, une fois par session, sur un autre projet ou proposition de loi. Malgré cela, il reste difficile pour le Parlement d'engager la responsabilité du gouvernement, l'exemple flagrant étant la difficulté de la mise en œuvre de la motion de censure. Mais pourtant le Parlement a été dans le texte réinvesti.

B. Un Parlement réinvesti

    Depuis 2008 les droits de l'opposition sont constitutionnellement reconnus. Ils ont même voix dans le calendrier. Celui-ci d'ailleurs a été revu et se partage pour moitié entre le gouvernement et le Parlement (dont la moitié de cette moitié, soit une semaine, revient à l'opposition). Ainsi on peut dire que l'initiative parlementaire a pu être restaurée. De plus on voit au parlement différentes commissions dont des commissions d'enquête sur l'activité du gouvernement. De même, sorti des commissions le projet ou la proposition de loi n'est plus distinct des amendements adoptés. Mais ainsi que dit en début de partie, l'initiative dans les faits se voit être utilisée surtout par l'exécutif. Mieux, certaines évolutions, comme le droit de prendre des résolutions depuis 2008, c'est-à-dire le Parlement qui donne son avis sur la politique du gouvernement pourvu que cela n'engage pas sa responsabilité, se voit être enfin, et alors que c'est un pouvoir du parlement « contre » le gouvernement, utilisé par la majorité au profit du gouvernement (cf. projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public).
    Nous comprenons ainsi que, dans la pratique, même si l'exécutif a effectivement fait quelques concessions d'annonce, pourrait-on dire, la réalité n'a pas vraiment changé. Ainsi que déjà dit la pratique est fondamentale dans un régime et au-delà d'une réforme dans le texte, si l'on reprend le discours de certains députés lors des discutions de la réforme de 2008, il faudrait surtout, pour avoir un « Parlement [qui] débatte et vote » comme le voudrait M. Gorce, voir les députés réinvestir en masse l'hémicycle.

Mais notre question reste donc en suspens. Il faut bien, pour éviter l'arbitraire, pour rationaliser ce « présidentialisme », pour « combattre cette culture de l'exécutif », un contre-pouvoir. Et M. Gorce, justement, l'introduit en parlant de cette institution qui « donnerait plus d'autorité à la loi ».

II. Un véritable contre-pouvoir

    Après avoir vu que le Parlement n'avait pas (encore ?) réinvesti pleinement sa place dans l'équilibre des pouvoirs au sein de nos institutions, nous allons nous pencher sur cette assemblée de vénérables, comme on pourrait l'appeler, qu'est le Conseil constitutionnel. Nous allons dans une première partie voir l'émancipation de cette institution (A) puis son effectivité dans le jeu des institutions de notre régime (B).

A. La voie des Sages

    On peut dire que le Conseil constitutionnel fût patient. Sans rentrer dans le détail historique, il est important de savoir qu'il a dû lutter contre l'idée que la loi issue de la souveraineté populaire ne pouvait être remise en cause. Chemin faisant, le Conseil des Sages s'est émancipé dans sa tâche première aujourd'hui qui est le contrôle de constitutionnalité des loi — on pensera ici à la décision en 1971 sur la liberté d'association élargissant le bloc de constitutionnalité au préambule, ou aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ou encore à l'intégration de la Charte de l'environnement dans le préambule. On note que le Conseil est devenu si important que M. Gorce regretta à l'époque qu'il n'ai pas de moyens d'action plus grand. Notons que depuis 1974, le Conseil constitutionnel peut être saisi aussi par soixante députés ou soixante sénateurs dans le cadre d'un contrôle a priori, c'est-à-dire avant que la loi ne soit promulguée. M. Gorce d'ailleurs note que c'est un contrôle « éventuel ». Le mot est très important car en effet il est demandé, avant 2008, que soit saisi le Conseil ou bien par ceux à l'initiative du projet de loi ou par ceux qui vote la loi. C'est-à-dire que sauf exceptions, il paraît finalement peu probable que toutes les lois passent par ce contrôle qui se veut être un contrôle au regard des principes fondamentaux tant pour notre République que dans le cadre des droits de l'Homme. Et là on sent pointer le potentiel pour venir justement combattre celui qui « réduit à bien peu de chose le contrôle du Parlement » comme le déplore M. Gorce.

B. Un contrôle de toutes les lois

    André Laignel en 1981 avait dit en plein débat à un membre de l'opposition : « vous avez juridiquement tord car vous êtes politiquement minoritaire ». Il faudra onze ans pour que la saisine du Conseil constitutionnel soit totalement ouverte à quelques députés et leur permettre d'avoir juridiquement raison. Mais il y a plus. Nous avons vu jusqu'à présent comment le Parlement, aussi à cause du fait majoritaire ne pouvait finalement combattre correctement l'exécutif, sinon le combattre, au moins le tempérer. La première « direction » évoquée par M. Gorce, et déjà commentée ici, n'a pas démontrée son efficacité. C'est pourquoi il propose de reconsidérer les conditions du contrôle de constitutionnalité pour avoir un « contrôle a posteriori, à l'initiative de nos concitoyens ». Évidemment le débat était ouvert depuis longtemps — déjà en 1989, François Mitterrand et Robert Badinter prônaient en ce sens. Il faudra attendre 2008 pour voire naître la question prioritaire de constitutionnalité. Nous avons ici un mécanisme par voie d'exception et a posteriori en ce sens où chaque citoyen devant une juridiction peut, par l'intermédiaire de son avocat, soulever la constitutionnalité de la loi qu'on lui oppose. Certes la saisine n'est pas directe dû à des mécanismes de filtres agrémentés de conditions (comme le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité qui interroge) mais elle existe et démontre déjà son efficacité.
    Ce contrôle, dont M. Gorce fait appel de ses vœux, « donnerait plus d'autorité à la loi ». On ne peut aller que dans ce sens et en tirer deux conclusions. La première est peut-être un certain constat d'échec dans la bouche de M. Gorce. En effet la loi, sortie du Parlement, n'aurait pas assez d'autorité en elle-même qu'il lui faudrait en donner plus. Et pourquoi ? Est-ce à cause de la main mise de l'exécutif sur le Parlement ? D'une certaine démission de ce dernier ? En tout cas, et c'est la seconde conclusion, qui découle, nous avons ici un vrai contre-pouvoir face aux lois surtout à l'initiative de l'exécutif et en accord avec une certaine soumission du Parlement. En effet, et même si ce contrôle ne peut être fait directement et doit être fait uniquement au regard des droits et libertés fondamentales du citoyen, grâce à la « complaisance » des filtres qui laissent passer les questions, un grand nombre de lois promulguées depuis 1958 ont pu être contrôlées. Et même si l'abrogation des lois peut être différée pour des raisons évidentes, il est indéniable que cette institution rend notre République plus saine face à un exécutif toujours plus fort et qu'il faut nécessairement contrôler.


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